lundi 8 octobre 2018

Une nuit avec Jean Seberg - Marie Charrel

Chronique de Scarlett 
Résumé : Lausanne, hôtel Beau-Rivage, 1970. Une jeune femme, algérienne par sa mère, afro-américaine par son père, est missionnée par les Black Panthers pour approcher un « gros poisson » et obtenir de celui-ci de quoi alimenter les caisses du parti. Mais le « gros poisson » en question, Jean Seberg au sommet de sa gloire, de sa beauté et de ses fragilités, se révèle moins facile que prévu à amadouer. Elizabeth tombe sous le charme de l’actrice qui, l’espace d’une nuit, bouleverse son regard sur l’existence et les luttes pour lesquelles elle était prête à tout sacrifier. Elle gardera de ces heures volées au monde le souvenir d’une amitié plus intense que l’amour et plus forte que la mort, souvenir ravivé cinquante ans plus tard, quand son petit-fils disparaîtra mystérieusement pour suivre à son tour la voie de la révolte. 





Chronique :  

« On n’a pas tous les jours la chance de croiser les pas d’un ange. De respirer son parfum en récitant des incantations secrètes dans l’espoir que le temps se suspende, comme si vivre dans le sillage de ce séraphin à la peau de nacre permettait d’échapper au monde, de frôler rien qu’une seconde le refuge céleste. »

2016 , la mort de deux hommes noirs l’un dans le Minnesota l’autre à Baton Rouge tous les deux tués par des policiers embrase les Etats Unis. Ces évènements rappellent douloureusement à Elisabeth une autre époque, les années 70 et d’autres révoltes pour des raisons similaires, et puis le fantôme d’un ange blond. Les souvenirs refont surface. Et puis Alexandre le petit-fils d’Elisabeth disparait pour des raisons d’idéaux, d’engagement et sa grand-mère pour garder le contact prend la plume pour lui raconter une histoire de lutte, d’engagement, son histoire à elle, une autre époque mais des combats assez similaires.

Dans ce très beau roman « Une nuit avec Jean Seberg » nous cheminons donc avec Elisabeth, mélange audacieux d’un héritage métissé africo-américain , juif et algérien, septuagénaire en 2016 , exigeante envers son entourage, et qui calme ses insomnies avec un verre d’Ardberg en souvenir d’une certaine Jean Seberg. Proche de son petit-fils dont les questionnements et les révoltes lui rappellent  la jeune femme qu’elle se souvient avoir été.

Le lecteur rencontre aussi d’autres personnages fascinants, Alexandre jeune homme sensible que son ami David pousse dans ses retranchements en l’associant à ses folles expériences, repoussant ainsi une mélancolie naturelle. Les tragiques attentats qui ont lieu en France lui donnent une conscience plus aigüe de son métissage et de ses origines musulmanes, Nour magnifique jeune migrante venue de Palmyre. On croise aussi John le fils d’Elisabeth  qui sent son monde lui échapper  que ce soit professionnellement ou personnellement, il se sent parfois transparent dans le regard de sa mère. 

A une autre époque on fait la connaissance de Jean Seberg à travers le regard de Lisa, une femme d’une intelligence émotionnelle incroyable, attentive et vulnérable. Militant contre les discriminations que subissent les noirs américains, elle sera engloutie dans la bataille que se livreront les pouvoirs et les mouvements de lutte malgré la protection bienveillante de son illustre ex conjoint Romain Gary. Bunchy qui fut un des compagnons d’Elisabeth, nous montre un des visages charismatiques du Black Panther party , mouvement emblématique de la lutte afro-américaine. Et puis en filigrane on frôle deux petits fantômes Nina et baby John dont l’absence a créé un vide abyssal et un chagrin irréversible chez Elisabeth et Jean.

Dans ce roman on passe de la France des années 60 avec le conflit franco-algérien à l’Amérique de 1970 et la création du Black Panther party, la mort de Robert Kennedy, de Martin Luther King, la présence étouffante d’Hoover et du FBI. L’auteur nous parle des mouvements de révolte du  passé mais aussi des intégrismes actuels, elle nous confronte à l’universalité des violences qu’engendre l’incompréhension  des différences. Marie Charrel nous apporte aussi une lueur d’espoir en écrivant avec délicatesse la passion des engagements, des causes qui nous portent. L’art de l’auteur est de relier toutes ces histoires, toute cette Histoire de manière fluide et de créer des personnages fascinants, attachants modelés par des mots, des émotions qui résonnent en nous. Les allers-retours dans le temps s’enchainent et se percutent comme des échos incessants. Au fond, que ce soit pour l’Homme ou pour l’Histoire il s’agit comme l’écrit l’auteur d’un Eternel Recommencement.

Ce fut une très belle découverte pour moi et une lecture savoureuse, merci Madame pour ce beau roman.

 « Ils vibrent pour les combats portés par les mondes engloutis. Ils souffrent des blessures laissées sur d’autres peaux que les leurs. Ils portent le deuil des génies slaves et d’étoiles de Midwest qu’ils n’ont pas connus. Ils portent le spleen de ceux qui ont aperçu le cœur de l’homme et tentent de survivre à l’Eternel Recommencement. »





1 commentaire:

  1. Merci pour cet article, le sujet a l'air très intéressant et bien traité, je risque de me laisser tenter :)

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