mardi 19 septembre 2023

Jour Zéro - C. Robert Cargill

 Traduction : Florence Dolisi

Résumé : Hopi est un tigre en peluche anthropomorphisé, un robot-nounou comme il en existe tant d’autres. Il n’en avait pas vraiment conscience avant de découvrir une boîte rangée dans le grenier. Celle dans laquelle il est arrivé lorsqu’il a été acheté des années auparavant, celle dans laquelle il sera jeté une fois que l’enfant dont il s’occupe, Ezra Reinhart, huit ans, n’aura plus besoin de nounou. Tandis que Hopi réfléchit à son avenir soudain incertain, les robots commencent à se révolter, bien décidés à éradiquer l’Humanité qui les tient en esclavage. Pour les parents d’Ezra, qui se croient à l’abri dans leur petite communauté fermée, cette rébellion n’est qu’un spectacle de plus à la télé. Pour Hopi, elle le met face à la plus difficile des alternatives : rejoindre le camp des robots et se battre pour sa propre liberté... ou escorter Ezra en lieu sûr, à travers le paysage infernal d’un monde en guerre. 

 

 

Chronique : Encore une fois la collection Albin Michel Imaginaire nous offre un grand moment de littérature SFFF avec Jour Zéro !

C. Robert Cargill avait déjà fait ses preuves avec Un Océan de rouille, il revient ici dans le même univers avec un roman encore plus émouvant.

De prime abord Jour Zéro n'a rien d'un texte révolutionnaire, reprenant ainsi des ingrédients bien connus : les IA prennent le pouvoir sur l'humanité et quelques "machines" tentent d'aider leurs anciens maitres pour qu'ils survivent à cette apocalypse. Mais ici peu importe la quête d'originalité ou non, ce qui compte c'est cette redoutable efficacité dans l'écriture, cette émotion à chaque ligne. Le lecteur est ainsi plongé dans un contexte des plus effrayants, spectateur des choix de chaque individu face à ce contexte. Tout repose sur Hopi (une peluche tigre) qui va tout faire pour sauver le petit garçon qu'il a sous sa garde.

La force de ce roman repose ainsi sur sa capacité à nous immerger totalement dans ce jour fatidique où chaque IA va avoir le choix entre tuer ou aider. Dès les premières lignes on s'attache à Hopi pour sa profonde "humanité", sa capacité à se questionner sur lui-même tout en acceptant son rôle prédéterminé de protecteur. L'amitié profonde qui le lie à Ezra, enfant courageux et sensible qui saura faire preuve aussi de bienveillance et de détermination lorsque cela sera nécessaire, est parfaitement retranscrite et renforce le caractère bouleversant de cette lecture.

L'intrigue se déroule dans un cadre temporel très court, sur ce moment de basculement et c'est ce qui rend cette lecture aussi addictive, elle est perpétuellement dans l'urgence et l'angoisse tout en gardant cette lumière d'espoir jusqu'à la fin.

La narration interne permet réellement de prendre part aux événements et aux pensées du robot, (qui dérivent entre humour, peur, amour et sincérité), de voir les changements s'effectuer dans son système interne alors même qu'il conserve ce qu'il possède de plus précieux : son affection indéfectible pour Ezra. Alors certes ce titre n'est pas forcément original mais il a su capter l'intensité et l'émotion d'une "fin du monde" avec profondeur et justesse. Jour Zéro est ainsi un très beau roman de Science-fiction/Anticipation qui se lit d'une traite et qui reste en mémoire.

 


 

jeudi 7 septembre 2023

En garde - Amélie Cordonnier

 Chronique de SCARLETT

Résumé :La narratrice de ce roman a promis à ses enfants et à son mari de raconter ce qui a déchiré leur vie de longs mois durant. Trois ans après les faits, Amélie Cordonnier tient parole et remonte le temps jusqu’à ce jour où tout a commencé. Il y a d’abord eu un courrier, pris pour une mauvaise plaisanterie. Alertée par un appel pour maltraitance, la protection de l’enfance la convoquait en famille à un rendez-vous visant à s’assurer que son fils et sa fille étaient bien en sécurité dans leur foyer. Un simple coup de fil, de surcroît anonyme, pouvait donc provoquer l’envoi d’une lettre officielle vous mettant en demeure de démontrer que vous êtes de bons parents ? Oui. La machine était lancée, et rien ne semblait devoir l’arrêter. Car comment prouver qu’on aime ses enfants ?

 

 

 

Chronique :

« Nous n’en sommes pas sortis indemnes, nous n’en sommes pas revenus, pas vraiment. Une part de nous est restée là-bas, à cette époque où nous n’osions plus rire ni crier, et je n’arrête pas de me demander quelles séquelles les enfants en garderont.

 

 

Le roman d’Amélie Cordonnier « En garde »  c’est l’histoire de parents qui doivent se justifier auprès des services de protection pour l’enfance suite à une dénonciation anonyme de maltraitance durant les mois de confinement. Amélie la mère, Alexandre le père, Gabriel le fils de quatorze ans et Lou la petite dernière vont être convoqués et interrogés  afin que l’administration concernée puisse vérifier le bon fonctionnement de la cellule familiale ou bien les éventuels manquements des parents suite à cette délation.

La première partie du livre qui repose sur des évènements vécus par l’autrice est très concrète et décrit dans une atmosphère où le stress monte crescendo : comment un courrier des services de protection peut arriver dans la boîte aux lettres de Monsieur et Madame tout le monde après un appel téléphonique anonyme. Amélie Cordonnier trouve les mots justes qui nous permettent de vivre en symbiose la stupeur d’abord et l’interrogation sur la ou le possible délateur, l’angoisse devant la perte de contrôle du quotidien et devant le contrôle que peut prendre l’institution sur notre vie intime, la colère aussi liée au choc que cela engendre chez les enfants. L’écrivaine explique par exemple à quel point il est injuste et singulier en tant que parent d’être rassuré, consolé presque par ses jeunes enfants. Amélie Cordonnier décrit aussi parfaitement les moments blancs, la mémoire après coup qui joue des tours obligeant l’autrice à demander à son mari et ses enfants certains détails que  le stress, l’inquiétude lui ont fait zapper.

Ensuite dans un second temps la romancière imagine un scénario catastrophe, hitchcockien  où tout part en vrille avec un assistant surnommé « cousin » qui devient l’homme de Moscou, qui s’immisce dans l’intimité de cette famille parisienne sans « histoire ». C’est totalement flippant et on imagine le degré d’appréhension que les évènements survenus a pu engendrer chez elle pour imaginer une telle suite à son épreuve.

Les sujets de la délation, du suivi et de la surveillance de la maltraitance sont très délicats, le regard que peut porter l’Institution sur notre intimité est une interrogation légitime que pose l’autrice mais dans ce roman, la transition d’un vécu traumatisant  à une fiction effrayante ressemblant plutôt à un thriller domestique perturbe quelque peu la lecture.

J’ai bien aimé dans ce livre le récit de l’expérience très perturbante de l’autrice, je suis aussi rentrée facilement dans la peau des « personnages » de la suite du roman, mais j’ai été déroutée, perturbée par le mélange réalité/fiction.

 

 «Je préfère rester debout, contre le mur au pied duquel je suis déjà de toute façon. En alerte, sur mes gardes. Je ne fais plus la maligne maintenant. Plus jamais. Je sais que nous ne sommes rien. C’est à ce moment-là, au moment de l’interrogatoire des petits, que je l’ai compris.»

 



 

mercredi 6 septembre 2023

L'Hôtel des Oiseaux - Joyce Maynard

 

L’Hôtel des Oiseaux

De JOYCE MAYNARD

Roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni

 

1970. Une explosion a lieu dans un sous-sol, à New York, causée par une bombe artisanale. Parmi les apprentis terroristes décédés : la mère de Joan, six ans. Dans l’espoir fou de mener une vie ordinaire, la grand-mère de la fillette précipite leur départ, loin du drame, et lui fait changer de prénom : Joan s’appellera désormais Amelia.
À l’âge adulte, devenue épouse, mère et artiste talentueuse, Amelia vit une seconde tragédie qui la pousse à fuir de nouveau. Elle trouve refuge à des centaines de kilomètres dans un pays d’Amérique centrale, entre les murs d’un hôtel délabré, accueillie par la chaleureuse propriétaire, Leila. Tout, ici, lui promet un lendemain meilleur : une nature luxuriante, un vaste lac au pied d’un volcan. Tandis qu’Amelia s’investit dans la rénovation de l’hôtel, elle croise la route d’hommes et de femmes marqués par la vie, venus comme elle se reconstruire dans ce lieu chargé de mystère. Mais la quiétude dépaysante et la chaleur amicale des habitants du village suffiront-elles à faire oublier à Amelia les gouffres du passé ? A-t-elle vraiment droit à une troisième chance ?

Dans ce roman foisonnant, Joyce Maynard, avec la virtuosité qu’on lui connaît, emporte les lecteurs sur quatre décennies. Riche en passions et en surprises, L’hôtel des Oiseaux explore le destin d’une femme attachante, dont la soif d’aimer n’a d’égale que celle, vibrante, de survivre.

Joyce Maynard, Collaboratrice de multiples journaux, magazines et radios, est aussi l’auteur de plusieurs romans – Long week-endLes Filles de l’ouraganL’homme de la montagneLes règles d’usage, Où vivaient les gens heureux – et d’une remarquable autobiographie, Et devant moi, le monde (tous publiés chez Philippe Rey). Mère de trois enfants, elle partage son temps entre la Californie et le Guatemala.

Source les Éditions Philippe Rey

 

Grybouille,

 

Enfin j’ai pu récupérer un roman de Joyce Maynard, et croyez-moi la guerre est rude parmi les chroniqueurs  du « Léa Touch Book ».

L’autrice y est aimée au moins autant que dans les épigraphes de son début de roman….

«  Considérer l’amour comme un état de grâce qui n’était pas un moyen mais…. Une fin en soi. »

G.G. Marquez

Le début du roman s’appuie sur ce qui s’est passé dans les années 1970 aux États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire la survenu de nombreux attentats.

Bien sûr celui-ci est imaginaire et permet la mise en place d’une histoire qui impactera la vie d’une petite fille de six ans dénommée Joan.

Sa mère Diana décédée dans un attentat où elle était impliquée. Sans père sur qui compter, heureusement elle a sa grand-mère maternelle « Grammy » pour la protéger et lui construire une autre vie, celle d’une petite Amélia que l’on va suivre tout au long du roman jusqu’à l’âge adulte.

« Elle lui fit promettre de ne jamais révéler à qui que ce soit nos nouveaux noms ni où nous vivions. »

« Seul l’amour permet à deux êtres de prendre ainsi leur envol. »

Alors commence la vie d’Amélia qui sera chargée de nombreux rebondissements, un parcours qui va l’amener à se perdre pour mieux se retrouver…. La Esperanza.

Magnifiquement écrit ce roman ravira les lectrices et les lecteurs de  Joyce Maynard et sera une belle porte  d’entrée pour ses nouveaux lecteurs et lectrices de la romancière.

Surtout ne passez pas à côté des « Remerciements » de Joyce Maynard en page 519, le courage de porter sa plume en ces temps où certaines ténèbres pointent leurs nez….

MERCI, MERCI, MERCI d’exister !

 

Bonne lecture à toutes et tous,

 



 

mardi 5 septembre 2023

Perspective(s) - Laurent Binet

CHRONIQUE DE SCARLETT

Résumé : Florence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, est chargé de l’enquête. Pour l’assister à distance, il se tourne vers le vieux Michel-Ange exilé à Rome.   La situation exige discrétion, loyauté, sensibilité artistique et sens politique. L’Europe est une poudrière. Cosimo de Médicis doit faire face aux convoitises de sa cousine Catherine, reine de France, alliée à son vieil ennemi, le républicain Piero Strozzi. Les couvents de la ville pullulent de nostalgiques de Savonarole tandis qu'à Rome, le pape condamne les nudités de le chapelle Sixtine. 





Chronique :

«Mais vous savez, divin Maître, que le style n’est rien sans l’esprit, ou plutôt que le style et l’esprit sont une seule et même chose..»

 

Le peintre Pontormo est retrouvé mort à Florence dans une chapelle où il œuvrait depuis des lustres, et voilà que chacun y va de son interprétation. Pour l’une il s’est suicidé, ensuite il s’avère qu’il a été assassiné mais par qui, pourquoi ; les questions sont multiples et les réponses foisonnent avec des interprétations que chacune ou chacun des personnages de ce roman écrira en fonction de sa sensibilité, de son vécu, de ses intérêts aussi ; donnant à l’enquêteur Giorgio Vasari  peintre de son état et nommé par Cosimo le duc de Florence beaucoup de fil à retordre ou à détordre…

En fait, dans le dernier roman de Laurent Binet «Perspective(s) », le narrateur découvre par hasard un lot de lettres datant du 16è siècle lors d’un séjour en Toscane, et ce sont ces correspondances qu’il nous offre à découvrir. On croise donc la plume de Marie et Catherine de Médicis, la première naïve et amoureuse quand la seconde manipule en fine tacticienne politique. Le grand Michel-Ange vieillissant et en mission « divine » à Rome est sollicité par ses confrères de Florence pour donner son avis sur cette énigme qui secoue le milieu des peintres déjà bien stressé par les nouveaux dictats imposés par le clergé qui souhaite que Florence entre autre s’assagisse.

Le roman de Laurent Binet est une intrigue policière où les différents protagonistes interagissent par le mode épistolaire, ce qui confère au livre une originalité rafraichissante et intéressante. C’est aussi un délicat plaidoyer pour ces magnifiques peintures de l’époque malmenées par la religion et les puissants qui par le jeu de leur favoritisme fluctuant attise le doute et la jalousie entre ces prestigieux artistes. On découvre Florence la flamboyante, la sphère religieuse fondamentaliste, les artisans avides de justice sociale et au milieu de tout ce foisonnement de missives nait une romance …

Les perspectives sont les nuances de nos vies à tous et la Perspective est le propre des artistes.

Voici une lecture de rentrée littéraire qui nous fait voyager en Italie auprès de personnages illustres et moins connus à travers leurs échanges épistolaires ce qui rend ce roman original et savoureux.

 

« Nous avons voulu peindre le monde à notre manière. Nous n’avons pas seulement voulu rivaliser avec Dieu, mais avons voulu modifier son œuvre, en redessinant le monde à notre convenance. Nous avons voulu la perspective, nous l’avons délaissée…».




mardi 29 août 2023

Nos coeurs disparus - Celeste Ng

Traduction : Julie Sibony

Résumé : États-Unis d’Amérique, dans un futur pas si lointain. L'existence de tous est rythmée par des lois liberticides. Tout citoyen de culture étrangère est considéré comme dangereux pour la société.
Les livres tenus pour séditieux sont retirés des bibliothèques. À commencer par ceux de la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt. Bien décidé à la retrouver, son fils, Bird, aidé par un réseau clandestin de bibliothécaires, va peu à peu prendre conscience du sort des opprimés et de la nécessité impérieuse de porter leur voix.

 

 

 

 

 

Chronique : Parmi mes romancières préférées, il y a Celeste Ng qui en deux romans s'est imposée comme une référence. J'avais beaucoup aimé Tout ce qu'on ne s'est jamais dit, j'ai eu le coup de foudre pour La Saison des feux et j'ai adoré son tout nouveau et troisième roman : Nos cœurs disparus.

Au départ je dois reconnaitre que j'avais peur de tomber sur une énième dystopie dans la lignée de La Servante écarlate. J'ai lu (et aimé) énormément de romans dans ce genre littéraire mais cela commence à devenir une mode un peu trop répétitive. Néanmoins il faut savoir faire confiance à Celeste Ng pour offrir une version très personnelle du roman d'anticipation.

En réalité la première partie de ce titre n'est pas ma préférée, elle est assez lente, elle permet d'installer le cadre et de comprendre en quoi consiste ce futur hypothétique. J'avais l'impression de retrouver une atmosphère assez similaire à de multiples autres titres mais progressivement on comprend les tenants et aboutissants de cette dystopie,  on comprend que le racisme anti-asiatique est le centre de cette nouvelle Amérique, que cet avenir effroyable est fondé sur des bases déjà présentes à l'heure actuelle dans la société américaine et qu'il s'agit dès lors d'un titre qui veut nous interpeller, nous mettre en garde, nous faire réfléchir. On sent dès lors toute l'implication personnelle de la romancière qui livre ainsi un titre très fort.

C'est à partir de la deuxième partie que j'ai clairement perçu la puissance de ce livre, où on appréhende la dimension beaucoup plus intime, humaine et émotionnelle de l'œuvre de Celeste Ng. En effet, la dystopie devient dès lors assez secondaire car la véritable histoire est celle d'une maman et de son enfant. En montrant la réalité très concrète, très humaine d'un tel futur, Celeste Ng veut frapper le lecteur en plein cœur et fait un choix extrêmement judicieux.

La romancière plante son décor avant de nous prendre la main, de nous prêter une loupe pour voir dans les faits, dans l'intime, dans la vie réelle, au sein de l'existence d'êtres comme vous et moi ce que cela peut amener : la séparation, la mort, le chagrin, l'injustice. Tout devient alors beaucoup plus déchirant jusqu'à ce dénouement bouleversant.

En définitive, malgré une première partie un peu lente, j'ai finalement totalement adhéré à ce titre et adoré cette histoire. Celeste Ng est une formidable conteuse dont j'attends avec impatience toujours et encore le prochain roman.