Chronique de Scarlett
Résumé : Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale
d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement
dérangeant.
Chronique :
« La
plupart des gens pensent que les secrets se conservent mieux avec le temps qui
passe, mais c’est faux. Au début de son mensonge, on reste alerte, vigilant,
attentif au moindre signe susceptible de détruire tout l ‘ensemble de la
construction. Généralement, personne ne remarque rien, mais progressivement
s’installe dans l’esprit des autres la logique de l’ensemble.»
« Le malheur du bas » d’Inès
Bayard c’est l’histoire de Marie et
Laurent un couple comme beaucoup avec un bonheur simple et puis le tragique
survient, violée dans une voiture par son directeur Marie tait l’horreur comme
tellement d’autres victimes par honte, par peur, pour des tas de raisons que
seule une victime peut connaître .La violence de cet acte change tout, fait
tout basculer inexorablement.
Marie justement, le personnage
principal de ce roman est une jeune femme installée dans sa vie de couple qui
gère le quotidien paisiblement. Elle travaille dans une banque, aime son métier
qui lui permet de s’affirmer différemment avec sa clientèle sans que ce soit
une priorité. Elle aime le calme mais se régale de l’agitation de sa ville
Paris. Marie est comme chacune et chacun d’entre nous faite de multiples
facettes. Laurent son mari est lui un avocat plutôt ambitieux. C’est un homme
que rendent heureux de bonnes affaires à défendre, la projection d’une famille,
un bon repas avec sa femme le soir. C’est un homme , qui a un moment ne voit
pas ou ne veut pas voir pourquoi sa femme se métamorphose, qui veut conserver
son bonheur simple et classique.
On rencontre aussi la famille de
Marie, sa mère qui évite toutes communications importantes malgré les signes
évidents du mal être de sa fille, Roxane sa sœur qui tente de garder un peu le
contact, puis qui prend position sans
réelle empathie mais de façon un peu
moralisatrice. Marie a aussi un collègue qu’elle apprécie
particulièrement ; Hervé cinquantenaire désabusé dans sa vie de couple et
de père, un homme qui se sent souvent miséreux et très malheureux. Mathilde,
une jeune femme qui travaille en binôme avec Marie se retrouve elle aussi
victime de leur patron et les réactions des deux jeunes femmes nous permettent
de voir à quel point un viol est vécu, subit de manière tellement personnelle
et différente, intime et que chaque femme réagit avec son environnement, sa personnalité,
son vécu du moment.
On aperçoit dans ce roman le
violeur, l’homme au pouvoir qui s’en sert et se sert pour violer, menacer.
Ce livre nous parle vraiment de l’intimité profonde de
la victime, des proches qui ne voient rien au final, du sentiment haineux qu’en
vient à ressentir Marie pour sa famille
et leur quotidien dont elle est si éloignée désormais. Inès Bayard nous
parle très directement du corps de la femme, des douleurs, des fluides
corporels, des contraintes et invasions que peut recéler le corps d’une femme.
Elle nous parle aussi du carcan socio-culturel, des idées ancrées qui
accompagnent toute la vie d’une femme, de la petite fille à la future maman, puis
à la mère dévouée et la femme accomplie que ce doit d’être une fille au regard
de la société.
Ce roman bouleversant est fait de
chapitres courts qui font monter crescendo le malaise, la douleur, l’horreur
que vit Marie murée dans son silence. L’auteur nous livre des mots sans
concession, bruts et forts. C’est un récit
dans l’intimité profonde de Marie qui va au cœur des choses, à
l’essentiel. Il y a dans ce livre des moments sans oxygène, où en apnée le
lecteur se trouve happé par la violence des actes puis des silences, des
non-dits, de l’indifférence bienheureuse de l’entourage avec au centre de ce
trou noir la solitude extrême de Marie dans son naufrage.
Le bonheur est fait en partie de la projection future de nos désirs. Parfois ils se
réalisent, parfois ils ne sont pas à la hauteur et parfois la vie, un événement
brutal, violent enraye totalement l’idée même de ce bonheur. C’est ce que
l’auteur nous a transmis sans dorure, en n’hésitant à aucun moment sur les mots
chocs, en allant au cœur d’une vérité,
d’un malheur inéluctable. C’est un livre sans aucune concession qui vous laisse
un peu sonné.
« Dans ce tableau sans défauts visibles,
il faut s’arrêter sur les détails. Personne n’a l’idée de le faire. Ils
préfèrent la douce et rassurante surface des sentiments, lisse et souple. Ne
surtout pas discerner les taches noires,
les dysfonctionnements, les tourments.»
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