Résumé : C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.
Chronique :
« C’était un langage des sens, de l’infirme, une science du silence, quelque chose qu’on n’enseignait nulle part ailleurs. A enfant hors norme, savoir hors norme, pensait l’ainé. Cet être n’apprendrait jamais rien et, de fait, c’est lui qui apprenait aux autres. »
S’adapter de Clara Dupont-Monod c’est l’histoire d’un petit enfant dont les yeux ne se fixent sur rien de particulier, qui ne marchera jamais et ne parlera pas non plus. C’est aussi l’histoire de ses deux frères et de sa sœur que l’auteure choisit de faire vivre à travers l’écho mémorial et minéral des pierres de la maison familiale qui nous relatent ces précieux moments de vie.
L’ainé choisit très vite à l’arrivée de son petit frère de s’investir inconditionnellement dans un rôle de protecteur. Il lui voue un amour intense, total au point de s’oublier pour centrer toute son énergie vitale dans le bien être de ce petit enfant si fragile. L’ainé dont l’avenir, la vision du monde et des autres sera à jamais transformée, façonnée par cet enfant et dont l’absence engendrera un sentiment irréversible de solitude.
La cadette quant à elle, après un rejet violent de ce petit être encombrant et bizarre éprouve une colère sourde contre le destin qui lui vole son « avant », cet avant où les parents étaient si présents pour elle, où son grand frère la protégeait et la choyait.
Et puis un dernier enfant nait après la disparation du jeune handicapé, un enfant de l’espoir et du renouveau pour les parents. C’est un gamin solaire qui devra composer avec le petit fantôme et dont inconsciemment le rôle sera de réconcilier cette famille traumatisée, que ce soient des parents effondrés, un grand frère si distant et une sœur qui au delà de la révolte cherche un peu de bonheur.
L’écriture est d’une délicatesse absolue, d’une poésie douce et nostalgique. L’auteure nous emmène en Auvergne entre monts et vallées entourées d’arbres majestueux, de rivières dans une terre rude, chatoyante et intemporelle. Le roman est construit en trois parties où chacun des enfants relate ses émotions, son vécu. Cette alternance des voix permet au lecteur de ressentir pleinement les différents sentiments et attitudes devant une situation délicate, devant le chagrin. Là où certains embrasseront la cause comme une partie inéluctable de leur existence, d’autres éprouveront un rejet virulent, une colère sourde et feront tout pour se protéger. L’auteur nous livre un panel d’émotions aussi variées que la nature humaine peut nous servir sans aucun jugement avec une élégance et une subtilité qui donnent toutes ses lettres de noblesse à l’écrivaine. Elle nous rappelle que la vie demande souvent des efforts intenses d’adaptation et que le plus rayonnant des êtres humains peut cacher de profondes blessures invisibles à l’œil nu.
Ce roman d’une sensibilité aérienne est aussi un magnifique condensé d’amour.
Merci Madame pour ce très beau moment.
« Il aimait penser qu’il y a des siècles, c’étaient les mêmes sons, la même lumière, les mêmes odeurs. Certaines choses ne vieillissaient jamais ; Des pèlerins du Moyen Age auraient pu voir la même journée d’automne, coulée d’or liquide. Les peupliers, fuselés de jaune, se dressaient comme des torches.».
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