M. Romain
Slocombe,
Bonjour,
Tout
d’abord merci de donner l’occasion aux lecteurs du « Léa Touch Book » de mieux vous connaitre. En cette rentrée
littéraire nous avons découvert votre dernier roman « Avis à mon exécuteur »
sorti en août 2014 aux éditions Robert
Laffont.
1/ Grybouille : « Nous parlions dans la chronique
de votre livre en vous qualifiant d’artiste pluridisciplinaire, est-ce que ce
qualificatif vous convient ? Et Pourquoi cette diversité ? »
Romain Slocombe : Oui, bien sûr,
cela me convient. C'était d'ailleurs le cas jadis de nombreux artistes. J'ai
d'autre part des antécedents familiaux : mon père était architecte, ma mère
illustratrice et peintre, mon grand-père historien et journaliste, mon oncle Douglas
Slocombe est un célèbre chef-opérateur du cinéma anglais... Il semblerait que
chacun d'entre eux m'a fait cadeau d'un peu de son talent...
2/ GB :
« Vous avez participé par vos illustrations, vos photos et vos textes à de nombreuses publications (1978-2014), le vrai Romain Slocombe se cache où, dans ses
illustrations, dans ses photos, dans ses écrits ? »
RS :
Oh, il est partout là-dedans. Disons que chacune de ces formes artistiques est
un moyen pour moi d'exprimer ce que j'appellerais "mes paysages
intérieurs".
3/GB :
« un petit tour par le Japon que l’on retrouve à de nombreuses occasions
dans vos productions, d’où vient cette passion ? »
RS :
J'étais attiré par l'Asie depuis l'époque du lycée, je crois. Mon père avait un
collègue architecte japonais, M. Machida, que j'aimais bien et qui m'a donné
une très bonne impression de son pays. Ensuite ça a été le cinéma japonais, et
l'art graphique japonais. Et puis les Japonaises... En tout j'ai effectué 19
séjours dans ce pays, de 1977 jusqu'à 1998. Je parle japonais couramment, ces
expériences m'on été très utiles pour ma tétralogie située au Japon, la
"Crucifixion en jaune" dont les 3 premiers volumes sont sortis chez
Gallimard à la Série Noire et le 4e chez Fayard noir, en commençant avec Un été japonais paru en 2000,
actuellement disponible en Folio policier.
4/ GB :
« Pouvez-vous nous parler de votre aventure chez « Métal
Hurlant » dans les années 1970. Pour nos jeunes lecteurs rappelons que
cette revue apparaît comme majeure dans
la presse adulte, c’était un véritable laboratoire d'où sont sortis
quelques chefs-d'œuvre et un bon nombre de grands noms de la bande dessinée
contemporaine, disparue
en 2006 ? »
RS : Je corrige :
elle a disparu en 1987. Mais c'est une longue histoire.
"Métal Hurlant" était une sorte d'auberge espagnole, où on apportait
ses BD, ça plaisait à Dionnet et Maneuvre ou ça ne leur plaisait pas. Mais une
fois que ça y était, on était adopté, il n'y avait aucune censure ou
injonctions à but commercial de la part des rédacteurs en chef. Ils ne
demandaient jamais à personne de refaire un dessin, contrairement à ce que se
permettent les éditeurs de BD de nos jours, tristes individus que je
qualifierais plutôt de marchands de soupe. Les éditeurs que j'ai connus à
l'époque étaient des gens formidables, et exigeants uniquement sur le plan
esthétique, comme Etienne Robial qui a créé les éditions Futuropolis (il est
devenu plus tard directeur artistique de Canal +, dont il a dessiné le logo
ainsi que celui de M6). J'ai débarqué dans ce milieu avec mes amis du groupe
graphique punk Bazooka, que j'avais connus aux Beaux-Arts de Paris en 1973.
Jean-Pierre Dionnet a publié en 1978 mon premier album, un roman graphique
intitulé Prisonnière de l'Armée rouge !,
une sorte de parodie des BD sadomasochistes américaines des années 50. Plus
tard je suis devenu copain avec d'autres artistes qui travaillaient à
"Métal", comme Loustal, Michel Crespin, Denis Sire et d'autres. En
1983 Dionnet et Jean-Luc Fromental ont publié mon premier roman, Phuong-Dinh Express, avec les 80
illustrations en noir et blanc que j'avais réalisées pour accompagner le texte.
5/ GB : « Vous
êtes né en 1953 à Paris, d'ascendance juive de par votre grand-mère, déclaration que vous avez faite durant l'émission « Bibliothèque
Médicis » diffusé le 4 novembre 2011. Cette histoire familiale vous
a-t-elle prédisposé, voir sensibilisé à écrire des récits faisant intervenir
des faits majeurs et tragiques de notre histoire ? ».
R S :
J'ai appris, par des investigations personnelles, que ma grand-mère maternelle,
russe, était juive, et cela des années après le décès de celle-ci. Cette
origine juive était cachée dans ma famille. Du coup, je me suis senti
"autorisé" à parler de la Shoah, sujet qui m'intéressait, mais avant
je me jugeais peu qualifié pour l'aborder. J'étais déjà écrivain à l'époque.
Alors j'ai fait une première tentative avec un roman jeunesse, Qui se souvient de Paula ?, qui a eu un
certain succès auprès des adolescents et des enseignants. Trois ans plus tard,
une jeune éditrice, Claire Debru, m'a demandé un roman épistolaire pour sa
collection "Les Afftranchis" ; j'ai eu envie de
le situer sous l'Occupation. Cela m'a donné l'idée de Monsieur le Commandant, roman écrit sous la forme d'une lettre de
dénonciation. Dans les deux cas, je m'attache à montrer plutôt le rôle des
Français en tant que collaborateurs et complices très actifs de la déportation.
Les Allemands sont en général à l'arrière-plan.
6/ GB : « Une
dernière question avant de laisser le clavier à Léa, de 1995 à 2001, vous avez
participé en tant que réalisateur et scénariste à divers productions de courts et moyens métrages, il y a-t-il un
projet dans un avenir proche de long métrage avec comme base de scénario l’un
de vos romans ? »
RS : Il y a un réalisateur extrêmement intéressé par le projet de faire un
long métrage cinéma à partir de Monsieur le Commandant. Mais le gros
producteur qu'il avait trouvé et qui avait envie lui aussi de le faire, a
finalement laissé tomber. Je crois que sa femme n'aimait pas le livre... en
tout cas, il trouvait la fin trop noire et voulait que je la change ! Seul
point positif, le réalisateur est devenu un ami et nous songeons à écrire un
scénario original ensemble.
Grybouille vous remercie.
Léa : Comment vous est venue
l’idée d’Avis à mon exécuteur ?
RS : J'avais trouvé plusieurs fois, au cours de mes recherches sur les
agents soviétiques à l'époque où je préparais mon roman précédent, Première
Station avant l'abattoir (Seuil), de brèves mentions de la mort mystérieuse
de Walter Krivitsky, retrouvé "suicidé" en 1941 dans une chambre
d'hôtel de Washington. Le personnage du "petit homme terrifié", tel
qu'il était apparu la veille au réceptionniste de l'hôtel, me hantait. J'ai eu
l'idée d'écrire un roman entièrement fictionnel sur les rapports entre un
transfuge du communisme et l'exécuteur envoyé par Staline pour le tuer. C'est
ainsi que j'ai trouvé le titre, avant même de commencer l'écriture. Puis, au
cours de mes recherches, ayant commencé par lire une biographie de Krivitsky
ainsi que ses souvenirs publiés avant sa mort, In Stalin's Secret Service,
j'ai trouvé le personnage réel tellement intéressant que j'ai décidé de
raconter, plus ou moins, sa vraie histoire ainsi que celle de ses proches amis
du renseignement soviétique. J'ai ensuite élargi au personnage d'Orlov, qui me
permettait de parler de l'action du NKVD en Espagne, et d'inclure ensuite
l'histoire du dossier secret de Staline (que le vrai Krivitsky ne connaissait
pas forcément).
Léa : Comment avez-vous procédé afin de mélanger fiction et l’ensemble de vos recherches (en
somme réalité) ?
RS : Une fois que j'ai pris le parti de modifier les noms du personnage
principal et de sa femme (qui, dans la réalité, était communiste elle aussi),
j'ai gagné une grande liberté, qui m'a permis de faire évoluer mes personnages
dans un espace fictionnel au sein de la réalité. La première partie du roman
concerne principalement le séjour de Victor Krebnitsky en Espagne en novembre
1936. Or Krivitsky dit s'y être rendu à cette date, mais à part qu'il a pris
l'avion Marseille-Barcelone on ne sait rien d'autre. Cette première partie est
donc presque entièrement fictive, hormis le fait qu'on y croise des personnages
réels comme Guido Picelli, George Mink, Alexandre Orlov, sa femme et sa fille,
et le défecteur arménien Gueorgui Aroutyounov qui a connu une fin mystérieuse à
cette époque, à Paris ou dans les Pyrénées (il existe deux versions). La
seconde partie, "Les renégats", est beaucoup plus centrée sur des
faits réels. En revanche j'ai été obligé d'imaginer de quelle manière mon héros
participait à l'élimination de son ami d'enfance Ignace Reiss, car il le
dissimule dans ses Mémoires. Les circonstances de l'assassinat et l'identité
des tueurs sont par contre rigoureusement exactes. Il y a aussi des
"astuces" scénaristiques qui m'ont permis de rapprocher Krebnitsky de
Orlov (on ne sait pas si celui-ci connaissait personnellement Krivitsky, même
s'ils ont très bien pu se croiser), comme l'épisode des écoutes. Certaines
scènes à Moscou sont inventées, mais pas les dialogues du ministre Iéjov, le
"nain sanglant" : j'avais des récits et même des transcriptions de
ses discours.
Léa : Parmi la pluralité de vos protagonistes lequel
préférez-vous dans ce livre ?
RS : Victor Krebnitsky (ou son
modèle) me fascine, et j'ai beaucoup d'empathie pour lui. Je crois comprendre
l'aspect tourmenté, complexe, de son caractère. La jeune Vera Orlova me touche
beaucoup, et j'ai voulu raconter quel fut son destin. Mais le personnage que je
trouve le plus sympathique est Théodore Mally, l'agent hongrois qui fut
aumônier militaire pendant la guerre de 14-18 avant de d'intégrer la Tchéka puis
le renseignement à l'étranger. Ses dialogues sont authentiques, rapportés par
ses amis Krivitski et Elsa Poretski. C'était un homme doté de beaucoup de noblesse,
distinction et courage, totalement désintéressé.
Léa : Quel est votre prochain projet d’écriture ?
RS : J'ai commencé un roman dont l'action se situe principalement au Japon
pendant la guerre, de 1942 à 1945. Je n'en dis pas plus !
Léa : Quel est le message le plus important de ce
roman ?
RS : Je ne me considère pas comme un écrivain "à message", mais
s'il devait y en avoir ce serait ces deux-là : "Les moyens sont plus
importants que la fin" (citation de John Dos Passos, opposée au fameux
"La fin justifie les moyens") ; et "Nos enfants sont tout ce qui
compte". Cette dernière phrase, qui est venue "toute seule"
alors que je finissais le livre, j'ai l'impression que c'est mon personnage qui
me l'a dictée. J'ai modifié ensuite le paragraphe, j'ai voulu la supprimer,
mais rien à faire, elle revenait toujours et s'imposait.
Léa : Quel est votre genre littéraire favori ? Vos
ouvrages préférés ?
RS : Le roman sous toutes ses formes. J'aime bien aussi les récits de
choses vécues, quand ils sont sobres. Cela m'aide à faire de faux "vrais
récits". J'ai beaucoup d'écrivains favoris, et cela évolue à mesure que
j'en découvre d'autres (j'ai beaucoup de lacunes). En langue française, j'aime particulièrement
Georges Simenon, et Patrick Modiano. Chez les Anglais, Somerset Maugham, Graham
Greene, Christopher Isherwood. Chez les Japonais, Ryû Murakami, Yasunari
Kawabata, Junichirô Tanizaki.
Léa : Un conseil pour les écrivains en herbe ?
RS : Lire beaucoup de littérature française du XVIIIe siècle et de la
première moitié du XXe. La première vous enseigne la musicalité du français, la
deuxième la sobriété. Et lire les ouvrages étrangers en traductions françaises
antérieures à 1960 (jadis les traducteurs écrivaient bien).
Léa : Un message pour vos lecteurs ?
RS : Quand vous trouvez un auteur que vous aimez vraiment, lisez (à peu
près) tous ses livres. Et évitez les livres barbants (il y en a plein par
exemple dans les prétendus "incontournables" de chaque rentrée
littéraire).
Nous vous
remercions sincèrement pour avoir accepté cette interview et nous souhaitons un
grand succès pour ce roman coup de cœur du blog !
J'ai lu de cet auteur Première station avant l'abattoir et j'avais adoré, ce nouveau livre a l'air encore mieux, très bonne interview !!
RépondreSupprimerSuper cette interview, ravie de retrouver Grybouille en plus de toi qui donne la parole à l'auteur :D Je vais vérifier que son livre soit bien dans ma wish list, parce que cet auteur écrit pas mal de livres qui se passent pendant une période de l'histoire qui me passionne. Il faut donc absolument que je découvre ses ouvrages :)
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