dimanche 7 septembre 2014

Interview - Romain Slocombe



M. Romain Slocombe,
Bonjour,
Tout d’abord merci de donner l’occasion aux lecteurs du « Léa Touch Book » de mieux vous connaitre. En cette rentrée littéraire nous avons découvert votre dernier roman « Avis à mon exécuteur » sorti en août 2014 aux éditions Robert Laffont.

http://www.laffont.fr/site/page_accueil_site_editions_robert_laffont_&1.html


1/ Grybouille : « Nous parlions dans la chronique de votre livre en vous qualifiant d’artiste pluridisciplinaire, est-ce que ce qualificatif vous convient ? Et Pourquoi cette diversité ? »

Romain Slocombe : Oui, bien sûr, cela me convient. C'était d'ailleurs le cas jadis de nombreux artistes. J'ai d'autre part des antécedents familiaux : mon père était architecte, ma mère illustratrice et peintre, mon grand-père historien et journaliste, mon oncle Douglas Slocombe est un célèbre chef-opérateur du cinéma anglais... Il semblerait que chacun d'entre eux m'a fait cadeau d'un peu de son talent...

2/ GB : « Vous avez participé par vos illustrations, vos photos  et vos textes à de nombreuses publications (1978-2014),  le vrai Romain Slocombe se cache où, dans ses illustrations, dans ses photos, dans ses écrits ? »

RS : Oh, il est partout là-dedans. Disons que chacune de ces formes artistiques est un moyen pour moi d'exprimer ce que j'appellerais "mes paysages intérieurs".

3/GB : « un petit tour par le Japon que l’on retrouve à de nombreuses occasions dans vos productions, d’où vient cette passion ? »

RS : J'étais attiré par l'Asie depuis l'époque du lycée, je crois. Mon père avait un collègue architecte japonais, M. Machida, que j'aimais bien et qui m'a donné une très bonne impression de son pays. Ensuite ça a été le cinéma japonais, et l'art graphique japonais. Et puis les Japonaises... En tout j'ai effectué 19 séjours dans ce pays, de 1977 jusqu'à 1998. Je parle japonais couramment, ces expériences m'on été très utiles pour ma tétralogie située au Japon, la "Crucifixion en jaune" dont les 3 premiers volumes sont sortis chez Gallimard à la Série Noire et le 4e chez Fayard noir, en commençant avec Un été japonais paru en 2000, actuellement disponible en Folio policier.

4/ GB : « Pouvez-vous nous parler de votre aventure chez « Métal Hurlant » dans les années 1970. Pour nos jeunes lecteurs rappelons que cette revue apparaît comme majeure dans la presse adulte, c’était  un véritable laboratoire d'où sont sortis quelques chefs-d'œuvre et un bon nombre de grands noms de la bande dessinée contemporaine, disparue en 2006 ? »

RS : Je corrige : elle a disparu en 1987. Mais c'est une longue histoire. "Métal Hurlant" était une sorte d'auberge espagnole, où on apportait ses BD, ça plaisait à Dionnet et Maneuvre ou ça ne leur plaisait pas. Mais une fois que ça y était, on était adopté, il n'y avait aucune censure ou injonctions à but commercial de la part des rédacteurs en chef. Ils ne demandaient jamais à personne de refaire un dessin, contrairement à ce que se permettent les éditeurs de BD de nos jours, tristes individus que je qualifierais plutôt de marchands de soupe. Les éditeurs que j'ai connus à l'époque étaient des gens formidables, et exigeants uniquement sur le plan esthétique, comme Etienne Robial qui a créé les éditions Futuropolis (il est devenu plus tard directeur artistique de Canal +, dont il a dessiné le logo ainsi que celui de M6). J'ai débarqué dans ce milieu avec mes amis du groupe graphique punk Bazooka, que j'avais connus aux Beaux-Arts de Paris en 1973. Jean-Pierre Dionnet a publié en 1978 mon premier album, un roman graphique intitulé Prisonnière de l'Armée rouge !, une sorte de parodie des BD sadomasochistes américaines des années 50. Plus tard je suis devenu copain avec d'autres artistes qui travaillaient à "Métal", comme Loustal, Michel Crespin, Denis Sire et d'autres. En 1983 Dionnet et Jean-Luc Fromental ont publié mon premier roman, Phuong-Dinh Express, avec les 80 illustrations en noir et blanc que j'avais réalisées pour accompagner le texte.

5/ GB : « Vous êtes né en 1953 à Paris, d'ascendance juive de par votre grand-mère, déclaration que vous avez faite durant l'émission « Bibliothèque Médicis » diffusé le 4 novembre 2011. Cette histoire familiale vous a-t-elle prédisposé, voir sensibilisé à écrire des récits faisant intervenir des faits majeurs et tragiques  de notre histoire ? ».

R S : J'ai appris, par des investigations personnelles, que ma grand-mère maternelle, russe, était juive, et cela des années après le décès de celle-ci. Cette origine juive était cachée dans ma famille. Du coup, je me suis senti "autorisé" à parler de la Shoah, sujet qui m'intéressait, mais avant je me jugeais peu qualifié pour l'aborder. J'étais déjà écrivain à l'époque. Alors j'ai fait une première tentative avec un roman jeunesse, Qui se souvient de Paula ?, qui a eu un certain succès auprès des adolescents et des enseignants. Trois ans plus tard, une jeune éditrice, Claire Debru, m'a demandé un roman épistolaire pour sa collection "Les Afftranchis" ; j'ai eu envie de le situer sous l'Occupation. Cela m'a donné l'idée de Monsieur le Commandant, roman écrit sous la forme d'une lettre de dénonciation. Dans les deux cas, je m'attache à montrer plutôt le rôle des Français en tant que collaborateurs et complices très actifs de la déportation. Les Allemands sont en général à l'arrière-plan.


6/ GB : « Une dernière question avant de laisser le clavier à Léa, de 1995 à 2001, vous avez participé en tant que réalisateur et scénariste à divers productions de courts et moyens métrages, il y a-t-il un projet dans un avenir proche de long métrage avec comme base de scénario l’un de vos romans ? »

RS : Il y a un réalisateur extrêmement intéressé par le projet de faire un long métrage cinéma à partir de Monsieur le Commandant. Mais le gros producteur qu'il avait trouvé et qui avait envie lui aussi de le faire, a finalement laissé tomber. Je crois que sa femme n'aimait pas le livre... en tout cas, il trouvait la fin trop noire et voulait que je la change ! Seul point positif, le réalisateur est devenu un ami et nous songeons à écrire un scénario original ensemble.

Grybouille vous remercie.

Léa : Comment vous est venue l’idée d’Avis à mon exécuteur ?

RS : J'avais trouvé plusieurs fois, au cours de mes recherches sur les agents soviétiques à l'époque où je préparais mon roman précédent, Première Station avant l'abattoir (Seuil), de brèves mentions de la mort mystérieuse de Walter Krivitsky, retrouvé "suicidé" en 1941 dans une chambre d'hôtel de Washington. Le personnage du "petit homme terrifié", tel qu'il était apparu la veille au réceptionniste de l'hôtel, me hantait. J'ai eu l'idée d'écrire un roman entièrement fictionnel sur les rapports entre un transfuge du communisme et l'exécuteur envoyé par Staline pour le tuer. C'est ainsi que j'ai trouvé le titre, avant même de commencer l'écriture. Puis, au cours de mes recherches, ayant commencé par lire une biographie de Krivitsky ainsi que ses souvenirs publiés avant sa mort, In Stalin's Secret Service, j'ai trouvé le personnage réel tellement intéressant que j'ai décidé de raconter, plus ou moins, sa vraie histoire ainsi que celle de ses proches amis du renseignement soviétique. J'ai ensuite élargi au personnage d'Orlov, qui me permettait de parler de l'action du NKVD en Espagne, et d'inclure ensuite l'histoire du dossier secret de Staline (que le vrai Krivitsky ne connaissait pas forcément).

Léa : Comment avez-vous procédé afin de mélanger  fiction et l’ensemble de vos recherches (en somme réalité) ?

RS : Une fois que j'ai pris le parti de modifier les noms du personnage principal et de sa femme (qui, dans la réalité, était communiste elle aussi), j'ai gagné une grande liberté, qui m'a permis de faire évoluer mes personnages dans un espace fictionnel au sein de la réalité. La première partie du roman concerne principalement le séjour de Victor Krebnitsky en Espagne en novembre 1936. Or Krivitsky dit s'y être rendu à cette date, mais à part qu'il a pris l'avion Marseille-Barcelone on ne sait rien d'autre. Cette première partie est donc presque entièrement fictive, hormis le fait qu'on y croise des personnages réels comme Guido Picelli, George Mink, Alexandre Orlov, sa femme et sa fille, et le défecteur arménien Gueorgui Aroutyounov qui a connu une fin mystérieuse à cette époque, à Paris ou dans les Pyrénées (il existe deux versions). La seconde partie, "Les renégats", est beaucoup plus centrée sur des faits réels. En revanche j'ai été obligé d'imaginer de quelle manière mon héros participait à l'élimination de son ami d'enfance Ignace Reiss, car il le dissimule dans ses Mémoires. Les circonstances de l'assassinat et l'identité des tueurs sont par contre rigoureusement exactes. Il y a aussi des "astuces" scénaristiques qui m'ont permis de rapprocher Krebnitsky de Orlov (on ne sait pas si celui-ci connaissait personnellement Krivitsky, même s'ils ont très bien pu se croiser), comme l'épisode des écoutes. Certaines scènes à Moscou sont inventées, mais pas les dialogues du ministre Iéjov, le "nain sanglant" : j'avais des récits et même des transcriptions de ses discours.

Léa : Parmi la pluralité de vos protagonistes lequel préférez-vous dans ce livre ?

RS :  Victor Krebnitsky (ou son modèle) me fascine, et j'ai beaucoup d'empathie pour lui. Je crois comprendre l'aspect tourmenté, complexe, de son caractère. La jeune Vera Orlova me touche beaucoup, et j'ai voulu raconter quel fut son destin. Mais le personnage que je trouve le plus sympathique est Théodore Mally, l'agent hongrois qui fut aumônier militaire pendant la guerre de 14-18 avant de d'intégrer la Tchéka puis le renseignement à l'étranger. Ses dialogues sont authentiques, rapportés par ses amis Krivitski et Elsa Poretski. C'était un homme doté de beaucoup de noblesse, distinction et courage, totalement désintéressé.

Léa : Quel est votre prochain projet d’écriture ?

RS : J'ai commencé un roman dont l'action se situe principalement au Japon pendant la guerre, de 1942 à 1945. Je n'en dis pas plus !

Léa : Quel est le message le plus important de ce roman ?

RS : Je ne me considère pas comme un écrivain "à message", mais s'il devait y en avoir ce serait ces deux-là : "Les moyens sont plus importants que la fin" (citation de John Dos Passos, opposée au fameux "La fin justifie les moyens") ; et "Nos enfants sont tout ce qui compte". Cette dernière phrase, qui est venue "toute seule" alors que je finissais le livre, j'ai l'impression que c'est mon personnage qui me l'a dictée. J'ai modifié ensuite le paragraphe, j'ai voulu la supprimer, mais rien à faire, elle revenait toujours et s'imposait.

Léa : Quel est votre genre littéraire favori ? Vos ouvrages préférés ?

RS : Le roman sous toutes ses formes. J'aime bien aussi les récits de choses vécues, quand ils sont sobres. Cela m'aide à faire de faux "vrais récits". J'ai beaucoup d'écrivains favoris, et cela évolue à mesure que j'en découvre d'autres (j'ai beaucoup de lacunes). En langue française, j'aime particulièrement Georges Simenon, et Patrick Modiano. Chez les Anglais, Somerset Maugham, Graham Greene, Christopher Isherwood. Chez les Japonais, Ryû Murakami, Yasunari Kawabata, Junichirô Tanizaki.

Léa : Un conseil pour les écrivains en herbe ?

RS : Lire beaucoup de littérature française du XVIIIe siècle et de la première moitié du XXe. La première vous enseigne la musicalité du français, la deuxième la sobriété. Et lire les ouvrages étrangers en traductions françaises antérieures à 1960 (jadis les traducteurs écrivaient bien).

Léa : Un message pour vos lecteurs ?

RS : Quand vous trouvez un auteur que vous aimez vraiment, lisez (à peu près) tous ses livres. Et évitez les livres barbants (il y en a plein par exemple dans les prétendus "incontournables" de chaque rentrée littéraire).

Nous vous remercions sincèrement pour avoir accepté cette interview et nous souhaitons un grand succès pour ce roman coup de cœur du blog !


2 commentaires:

  1. J'ai lu de cet auteur Première station avant l'abattoir et j'avais adoré, ce nouveau livre a l'air encore mieux, très bonne interview !!

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  2. Super cette interview, ravie de retrouver Grybouille en plus de toi qui donne la parole à l'auteur :D Je vais vérifier que son livre soit bien dans ma wish list, parce que cet auteur écrit pas mal de livres qui se passent pendant une période de l'histoire qui me passionne. Il faut donc absolument que je découvre ses ouvrages :)

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